È questo il titolo del seguente contributo di recensione ad un testo francese dell'abbé Barthe.
Del resto, non si era nascosto l'interesse per il tema con il rilancio degli interventi dell'ottimo P. Spataro, di cui ieri abbiamo pubblicato l'ultimo.
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POURQUOI LE LATIN EST-IL INDISPENSABLE DANS LA LITURGIE ?
Un certain nombre de nos lecteurs attachés à la liturgie “en
latin” nous demandent régulièrement de les aider à faire comprendre à leur curé
et à leurs amis paroissiens l’intérêt de l’usage de la langue latine dans la
liturgie (non seulement traditionnelle, mais aussi nouvelle, puisque le
n. 36 de la Constitution de Vatican II sur la liturgie rappelle que
« l’usage de la langue latine, sauf droit particulier, sera conservé dans
les rites latins »).
Tout le monde sait que le latin, langue de Rome, a été la
langue de l’unité de la prière officielle pour une bonne part des
catholiques du monde, en même temps que la langue des formules
intangibles de la foi romaine.
En outre, pour préciser davantage les raisons qui
expliquent que le latin est devenu et qu’il est resté une langue liturgique,
nous avons pensé qu’il était intéressant de publier de larges extraits d’un
chapitre du livre de l’abbé Claude Barthe, Le ciel sur la terre. Essai sur l’essence de la liturgie (éditions François-Xavier de Guibert,
2003) : « Une langue pour le sacré » (pp. 47-59).
UNE LANGUE POUR LE SACRÉ
La commotion culturelle produite par la réforme
liturgique d’après Vatican II, conjuguée avec la quasi-disparition de l’enseignement
des humanités, a torpillé le vaisseau déjà fragile dans les années soixante du
latin liturgique. Aujourd’hui, dans les séminaires qui se veulent d’un bon
niveau intellectuel, on étudie le grec et l’hébreu, mais pas le latin, en
faisant donc l’impasse sur toute la tradition patristique et médiévale :
pédagogie aberrante, qui pourra être inversée sans mal.
Comment une langue devient langue liturgique
Certes, tout climat idéologique peut toujours être
renversé. Il reste que toute restauration liturgique va être confrontée à ce
redoutable problème cultuel et culturel qu’est la perte d’habitude de la langue
liturgique latine par les fidèles et même par les prêtres de quarante ans et
moins, lesquels avec la meilleure volonté « restauratrice » du monde
n’ont plus aucun usage de la célébration latine et du plain-chant. Mais on doit
bien comprendre que l’usage d’une langue comme langue liturgique tient à bien
autre chose qu’à la décision bureaucratique d’une conférence épiscopale
« compétente ».
Qu’est-ce qui permet à une langue de devenir et de rester
une langue liturgique ? Si on considère aujourd’hui les langues
liturgiques proprement dites, on constate qu’elles sont généralement des
langues anciennes, celles utilisées à l’époque de la rédaction des grands
textes sacrés : le latin de saint Léon et saint Grégoire, le grec
patristique de saint Jean Chrysostome, le slavon ancien, le dialecte bohaïrique
du rite copte, fixé au IXe siècle, l’arménien classique, etc., mais aussi, en
ce qui concerne une part des liturgies protestantes et anglicanes, l’allemand
de Luther, la version anglaise du roi Jacques – très contestée à l’heure actuelle
– qui gardait la qualité de l’anglais de Shakespeare.
Ce sont aussi des langues que la liturgie a remodelées,
cela spécialement pour le latin liturgique, dont le style emprunte au latin
noble de l’Antiquité tardive, mais sur un registre propre et avec un rythme
particulier. En fait, la formation d’une langue liturgique représente un
phénomène d’appropriation culturelle réciproque : une langue profane est
empruntée par l’usage religieux à une culture déterminée parce qu’elle s’avère
propre à être un véhicule pour la théologie et la prière ; cette langue
devient dès lors elle-même un véhicule culturel spécifique qui contribue
puissamment à conserver la langue profane en question. Pour le dire d’une autre
manière : la langue peut devenir liturgique à cause de sa noblesse
naturelle ; elle acquiert de la sorte une noblesse hiératique et sacrée,
une noblesse propre qui va la conserver comme telle.
Sans doute pourrait-on avancer des exceptions (le malayalam du
rite syro-malankar, une des rares langues vivantes dans une liturgie
traditionnelle). Il reste que le phénomène de constitution d’une langue
liturgique est lié à une élaboration plus globale, qui comporte la prédication,
la dispute théologique, et aussi, et tout particulièrement les commentaires et
les versions de la Sainte Écriture. Une langue liturgique demeure aussi une
langue de référence théologique. Or, le langage de la théologie, comme celui de
la liturgie, est emprunté au langage qui se constitue en lisant, commentant,
traduisant, glosant, interprétant, prêchant, méditant l’Écriture sainte. Ainsi
le rite arménien a été créé par le catholicos Sahak, Grégoire l’Illuminateur, à
la fin du IVe siècle, en même temps qu’une littérature chrétienne arménienne,
avec une traduction de la Bible correspondante.
Comment est apparu le latin liturgique ?
Il y avait dans l’empire romain, lors de la diffusion du
christianisme en sa partie occidentale (Rome, l’Espagne, l’Afrique, la Gaule),
deux grandes langues véhiculaires, le grec et le latin. En Orient, à Jérusalem
par exemple, pour les populations non hellénophones, on a connu des cérémonies
en plusieurs langues et des traductions de la Bible et de la liturgie
(syriaque, copte). Durant deux siècles et demi, la langue liturgique de Rome n’a
donc pas été la langue du cru, mais le grec, qui était la langue véhiculaire de
la Bible, dans la traduction de la Septante. À cause, en effet, de ses origines
orientales, le christianisme romain, arrivé dans la Ville quelques années après
la mort du Christ, avait pour matrice cultuelle le grec. Langue commerciale et
d’échange, koinè, que le peuple comprenait toujours plus ou moins,
mais aussi langue de haute culture, qui faisait que les personnes de condition
élevée se devaient d’être pratiquement bilingues (ce ne sera plus le cas au IVe
siècle).
C’est d’ailleurs vers la fin du Ier siècle que la
Septante, version alexandrine du IIIe siècle avant Jésus-Christ, a commencé à
intéresser les païens cultivés, notamment en raison de l’utilisation qu’en
faisaient les chrétiens. Dans le même temps, la liturgie parlait grec pour une
raison culturelle – si l’on veut bien prendre le terme en un sens non élitiste,
et qui recouvre une commodité de prédication – parce que le christianisme n’avait
pas encore de culture latine. Il s’appuyait sur la culture scripturaire et
sacrée qui le véhiculait, le grec.
Mais s’il était donc tout à fait anachronique de dire que
l’usage du grec, à l’origine, était semblable à l’usage moderne d’une langue
vulgaire dans la liturgie, il serait tout aussi anachronique de dire que le
passage au latin a été quelque chose comme le phénomène d’après
Vatican II. De même que des traductions latines littérales de la Bible
grecque (on parle de Vieille latine pour les distinguer de la Vulgate, la
traduction réalisée par saint Jérôme sur l’hébreu de l’Ancien Testament, à la
fin du IVe siècle et au début du Ve siècle), ont circulé plus vite dans l’Empire
qu’à Rome, de même la liturgie s’est latinisée en Afrique très tôt (le fait est
attesté dès Tertullien, mort en 225, le créateur du latin chrétien, qu’on a
appelé le Cicéron chrétien). À Rome, en Gaule, en Espagne, le passage au latin
de la liturgie s’est fait au cours du IIIe siècle, et non durant le IVe siècle,
comme on l’a cru longtemps.
Dès lors la liturgie va donc pouvoir s’appuyer sur la
culture romaine et l’investir. C’est alors, grâce à la Pax Ecclesiae que
promulgue Constantin en 313, que va s’opérer la fameuse translatio :
la culture chrétienne, spécialement liturgique, s’approprie peu à peu la
culture latine. Virgile et Térence ont été à la base de la formation littéraire
de Tertullien, Ambroise, Augustin, Hilaire de Poitiers.
La langue des oraisons, du canon, des préfaces acquiert
dès ce moment une expression très élaborée. Elle se distingue surtout par son
caractère vraiment latin. H.-I. Marrou disait qu’elle est une variété originale
de la langue littéraire latine. Léon, Gélase, Symmaque, Vigile, Grégoire, et
leurs écolâtres ont su mettre la gravité romaine au service de l’expression du
sacré.
Dès lors, tous les rites occidentaux (romain, milanais, lyonnais,
mozarabe, monastiques divers et variantes du rite romain) sont restés en
possession paisible de cette langue jusqu’au XVIe siècle.
Désacralisation et irruption des langues vulgaires
À vrai dire, le vernaculaire n’était pas la préoccupation
majeure de Luther, qui parlait couramment latin et a célébré la Cène en latin,
mais il s’est vite imposé et est devenu une revendication forte et emblématique
de la Réforme. Pourtant, l’allemand de Luther et la version anglaise du roi
Jacques ont ensuite été conservés un peu comme des langues liturgiques.
Il faut aussi évoquer les revendications en faveur des
langues vernaculaires de certains milieux, jansénistes, joséphistes, plus
largement de ce qu’on appelle les Lumières catholiques. Il y eut, en Allemagne
unAufklärung catholique qui, à la différence des Lumières,
critiquait l’Église de l’intérieur, et qui eut son équivalent en France dans
les milieux que l’on désigne sous le terme générique de
« jansénisme ». Ces courants jetèrent un certain discrédit sur les
dévotions traditionnelles et leurs « excès », sur la communion hors
de la messe, les messes multiples célébrées en même temps dans une même église.
Ils voulaient surtout une introduction de la langue vulgaire dans la liturgie,
un abandon massif du latin, un raccourcissement des prières, le tout au nom du
thème du retour aux « usages de l’Église primitive ». Ceci, resté un
peu marginal et qui n’a pas abouti, est concomitant du basculement de la
civilisation occidentale entre les XVIIe et XVIIIe siècles, et bien plus
directement que le protestantisme, préfigure les revendications qui gonfleront
au XXe siècle.
Avec ces dernières on se trouvera dans un contexte
clairement distinct de ce qui a précédé : celui d’une civilisation de
masse, par essence étrangère à la culture humaniste qui faisait corps avec la
culture chrétienne ; celui d’une sécularisation qui isole de manière
étanche le profane et le religieux. De sorte que l’acculturation moderne du
christianisme que veut réaliser la liturgie en langue vulgaire est d’une autre
nature que l’acculturation traditionnelle. Elle tend essentiellement à une
« mise à la portée », dans un contexte général de banalisation :
elle n’est donc pas à proprement parler un phénomène d’acculturation, mais
plutôt la prise en compte d’une crise de la culture. En outre, le langage
liturgique a vocation à exprimer la communion : il tend donc, non à l’uniformisation,
mais à l’unification. Or, les traductions de la Bible se multipliant, la
liturgie en langue vulgaire va utiliser une traduction parmi d’autres, et non
plus un texte commun permettant de retenir les versets de psaumes, les paroles
de l’Évangile mémorisés identiquement par tous, comme on le pouvait au temps de
la liturgie latine et de la Vulgate.
De fait le langage liturgique de la romanité soulignait
son unité se dégageant comme élément essentiel au sein des accidents de l’histoire.
Entre l’Antiquité tardive, où se sont élaborés, à Rome, les textes liturgiques
fondamentaux qui furent en usage – et dans la même langue – jusqu’à
Vatican II, et le Moyen Âge qui avait donné à cette liturgie sa
configuration, le monde catholique latin a parlé liturgiquement, una
voce, d’une même voix, celle d’une liturgie de chrétienté célébrée à Rome.
Cette épaisseur historique lui donnait toutes les apparences d’être comme hors
du temps et correspondait à un profond besoin de signes externes de
communion.
Si donc le sens du sacré reste instinctivement du côté de
la langue ancienne, ce n’est pas tant que le caractère incompréhensible du
latin pour la majorité des assistants lui donne une valeur mystérieuse, mais
parce que, à l’évidence, l’interprétation de la liturgie dans la langue d’aujourd’hui
épouse un mouvement devulgarisation. Car la concision dépouillée de la
latinité, sa sobriété, imposaient à la célébration un style de grande dignité,
le langage noble se combinant avec le silence, tout spécialement celui du canon
qui fut parfois jadis appelé « sanctuaire ». À quoi s’accorde le
plain-chant, la gestuaire savamment étudiée et comme immémoriale, pour la
création d’une atmosphère autre. Tout ce que la vulgarisation du
langage et la banalisation des rites ont évacué.
***
En se voulant de plain-pied avec l’ordre du monde divin,
la célébration eucharistique prend désormais la figure familière d’un repas en
commun, avec paroles de simple urbanité de la part du célébrant à l’assemblée
des fidèles, gestes de convivialité, introduction d’un liant social propre à la
vie ordinaire. Il n’est donc pas douteux que l’irruption quasi totale du vulgaire et
la disparition de la langue sacrée aient largement participé de la
désacralisation et de la rupture de mémoire.
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